Message redeker
images-13       Message de Robert Redeker

Ce texte a été lu par Robert redeker à Toulouse, lors d'une souréee de soutien

"Que je sois le dernier, en France, à qui une pareille mésaventure arrive".

Il n'est pas question dans cette brève lettre de faire de la philosophie, ni de l'analyse politique. C'est même la part la plus agréable de cette soirée qui m'échoit, celle de la gratitude. Je me contenterai d'un amical et fraternel salut adressé à toutes les personnes présentes ce soir. Je me contenterai de dire mon émotion devant leur soutien. L'organisation de ce meeting m'émeut profondément. Je n'ai pas de mots assez forts pour traduire ma gratitude à la fois aux personnes ici présentes, aux personnes présentes à la tribune, et à tous ceux et celles qui, depuis le commencement de cette affaire se sont démenées pour organiser mon soutien.

Je ne vais pas revenir sur la nature, la gravité et la multiplicité des menaces – niées par certains – ont été rappelées tout à l'heure. Je vais dire des choses très concrètes qui sont une conséquence de ces menaces. Mon adresse figurant sur internet, notamment sur le site djihadiste al-hesbah assorti d'une condamnation à mort -, ma maison ayant été filmée et photographiée, je suis obligé de déménager. Mon quotidien s'est un peu amélioré ces deux-trois dernières semaines. Il fut pénible à supporter pendant plus d'un mois, où j'ai été, pour ainsi dire, exfiltré de l'existence. Maintenant, je peux à nouveau ouvrir les volets. La maison où je suis est gardée en permanence par les gendarmes, il faut montrer patte blanche pour y venir. Je suis obligé de prévenir une heure à l'avance pour toutes mes sorties, même pour aller chercher mon courrier à la mairie. Je dois annoncer combien de temps va durer mon déplacement, etc. La vie de mes enfants elle aussi en a été bouleversé. Mon fils aîné a préféré déménager et il a fallu placer le cadet en internat. Il a fallu, aussi, que je suspende mon activité professionnelle.

Une mobilisation formidable connaît cette semaine (hier à Toulouse, aujourd'hui à Paris) son point d'orgue. Elle résulte de deux phénomènes: le travail infatigable, depuis fin septembre, de certaines personnes et associations, et la vague innombrable des témoignages de sympathie et de soutien reçus par mail ou par la poste. Je pense bien sûr à Claude Lanzmann, et à son infatigable action depuis deux mois maintenant. Avec Claude Lanzmann, c'est toute l'équipe des Temps Modernes que je voudrai remercier. Claude Lanzmann, qui est resté en contact continu avec moi, et qui m'a aidé à comprendre la situation dans laquelle je me trouvais et – ce n'est pas facile, sans lui je n'y serais pas parvenu – à la maîtriser. Liliane Kandel, qui me prête sa voix pour la lecture de cette brève lettre, qui a été à mes côtés par téléphone depuis le début. Je pense à André Glucksmann, à Pascal Bruckner, à l'équipe du Meilleur des Mondes, qui se sont impliqués très tôt dans le soutien intellectuel, moral et matériel dont j'avais besoin. Je n'oublie pas Alain Finkielkraut, qui a œuvré pour cette mobilisation, en particulier en prenant ma défense sur les ondes et à la télévision, tout comme Philippe Val. Je n’oublie pas non plus Alain Seksig, qui s’est démené, avec toute la générosité dont il est capable, pour l’organisation de ces meetings. Tout comme aussi Ivan Rioufol, soutien sans faille au Figaro. Je pense également à l'engagement fort de Bernard-Henri Lévy, avec qui je n'ai jamais été en contact jusqu'à hier soir, qui n'a pas hésité à voler à mon secours. Quant à Catherine Kintzler, vers qui aussi va ma gratitude, elle a été très active dans la réfutation philosophique de mes détracteurs. Je n'oublie pas non plus Chantal Delsol, qui m'a aidé moralement et qui, elle aussi, s'est exprimée dans Le Figaro sur cette affaire Je n’omets pas Arié Bensemhoun, mon ami Stéphane Baumont, ni Pierre-André Taguieff. Sans eux, sans toutes ces personnes, si différentes dans leurs options politiques, intellectuelles ou spirituelles, je l'avoue, j'aurais eu plus de mal “ à tenir le coup ”. Je manifeste ma gratitude aussi envers la LICRA et envers le CRIF dont le soutien a été précieux. Résilience TV et Res Publica se sont montrés très actifs. Je manifeste également une reconnaissance particulière à Abdennour Bidar qui, par voie de lettre ouverte parue dans Libération, a engagé le dialogue avec moi. Etant dans une stratégie de retrait de la scène médiatique, je n'ai pas pu lui répondre. Je le ferai, sur le ton de l'amitié intellectuelle, lorsque je ne serai plus un homme à terre.

Bien sûr il y a quelques défections et quelques trahisons. Quelques lâchetés, quelques coups de poignards. Ce n'est pas le moment pour moi d'en parler. Et peu importe les déserteurs d'arrière-garde ! La réponse à la tentative d’étouffer la liberté d’expression dont les menaces de mort proférées à mon encontre sont la forme extrême, laisse espérer que je sois le dernier à qui, en France, pareille mésaventure arrive. Quelque chose s'est construit, au cours de ces deux derniers mois, qui permet de combattre le pessimisme et le désespoir, menaçants en cette période. D’une part, nous sommes là, vous êtes là, contre la banalisation de la violence et des menaces. Pour résister au retour de l’intolérance – je n’oublie pas que je viens de la ville où un contemporain de Descartes et Galilée, le philosophe Luciolo Vanini a payé des flammes du bûcher son impiété. Qu'on s'en souvienne: accusé d'athéisme, ce philosophe enseignant à Toulouse fut condamné à avoir la langue coupée, à être étranglé puis brûlé vif; ces supplices se ramassèrent en une seule journée, le 9 février 1619. Je n’oublie pas non plus qu’un citoyen de cette même ville, Callas, victime de l'intolérance religieuse, exécuté en 1762, a été défendu contre l’intolérance par Voltaire, qui obtint sa réhabilitation. D’autre part, cette mobilisation est aussi l'affirmation, haut et fort, ou plutôt la réaffirmation, de l'attachement d’une grande partie du peuple français à la fois à la laïcité, à la tolérance et à la liberté d'expression. La liberté d'expression c'est, comme l'a fort bien dit Bernard-Henri Lévy hier soir, « le choc des opinions ». Une opinion qui ne déplaît pas à certains n'est tout simplement pas une opinion! La liberté exige des opinions qui déplaisent. Au fond, quel est le sens d’un pareil rassemblement, et de la mobilisation par laquelle il a été préparé ? La réponse à cette question délivre un message d’espoir. Que je sois le dernier, en France, à qui une pareille mésaventure arrive – voilà le sens. Que plus personne ne puisse être menacé dans sa vie, menacé par la violence, avoir sa vie saccagée, pour avoir exprimé ses idées à l’intérieur du cadre fixé par la loi.
Je remercie infiniment chacun, dans la salle ou à la tribune, ainsi que ceux qui n’ont pu venir, pour cette magnifique mobilisation.